07/02/2010

Le retour du Banni

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Ils étaient cinq amis réunis sous le commandement d'Alester Le Vaillant qui transforma la Compagnie des Loups en une armée, la Meute. Sous sa bannière, cette armada mit un terme aux baronnies tyranniques. Pour un ordre plus juste et une paix éternelle, la Meute a fondé le Royaume d'Archaon. Une telle prouesse n'eut pas été possible sans Hector La Muraille Wiestal , guerrier ne vivant que par et pour l'épée, accompagné d’Ysengord, d'Aberrard et de Khaïss. Ensemble, ils pénétrèrent au coeur de Kordock, sanctuaire de l'Ephyse. Un pouvoir ancestral leur donna la force de prendre Myrmirrine, joyau des Territoires du Centre et fief du duc Amaltek qui préféra le suicide à la reddition. Mais, Hector croisa le regard de Lady Jester, la future reine promise à Alester et y succomba. Banni du royaume, Hector devint alors une légende déchue noyant ses souvenirs de gloire dans l'alcool. Trente ans plus tard, les faits d'armes de la Meute n'existent plus que dans les chansons. Maudissant ce Roi qui n'a même pas eu le courage de lui offrir une mort cent fois méritée, Hector vit entouré de fantômes. Seule la jeune Myrille, trouve grâce à ses yeux. Et, puis, Alester le convoque pour lui faire retrouver sa gloire perdue. Hector ignore encore le terrible piège qu'un ennemi mystérieux lui a tendu pour le broyer...

Si les récits d'héroïc-fantasy sont légion en BD, plus rares sont les histoires fantastiques qui se situent dans un Moyen-Age imaginaire dénué de créatures magiques. La très belle mise en image du dessinateur Tarumbana plonge le lecteur dans le monde tourmenté imaginé par le scénariste. Le liseur est immédiatement happé par la fureur des combats, par les drames et les complots qui se nouent à l'ombre du trône. La véritable force de l’album réside dans les trajectoires individuelles des personnages. Malgré tous leurs efforts, ces héros sont seuls face à un destin auquel ils ne peuvent se soustraire. Le Banni, c'est l'épopée d'un groupe d'amis unis par le sang qu'ils ont fait couler, forgeant par l'épée une légende qui a fait d'eux les rois d'un monde. Seul le temps, brisant les amitiés les plus indéfectibles, a transformé les héros d'autrefois en vieillards égoïstes et affaiblis qui se disputent aujourd'hui les derniers vestiges de ce qui fit autrefois leur mythe.

A l'évidence, Henscher s'inspire ici d'Impitoyable de Clint Eastwood où le héros déchu ne parvient plus à toucher sa cible. Il avoue lui même avoir cherché une ambiance à la Sam Peckinpah ou à la Sergio Leone. Mais, c'est Le Trône de Fer de Georges R.R. Martin qui a été sa principale source d'inspiration. Elle lui a permis de prolonger une réflexion sur la notion d'héroïsme, de sacrifice absolu, de don de soi au nom d'une cause supérieure avec la gloire qu'on en retire. Dans le Banni, on trouve aussi une introspection sur la violence et la légitimité de celui qui l'emploie. Par ailleurs, le scénariste a voulu souligner que le médiéval-fantastique doit être considéré comme un genre littéraire propre au même titre que le polar. Ce genre permet de traiter les questions politiques, voire métaphysiques. Ainsi, pour la relation entre Hector et Alester, Henscher a pensé à Roland et Charlemagne. Émotions des personnages, démesure, fabrication d'un mythe, violence nourrissent à profusion le début de cette saga prometteuse dans laquelle il n’y a aucun temps mort. Tarumbana prend plaisir à dessiner la gueule d’Hector. Avec son style peinture, il dépeint à merveille la cruauté et la sauvagerie des combats. Il propose aussi des jeux de lumières étonnants et des ambiances en clair-obscur. Inspiré par Rosinski, son pinceau donne de la profondeur et du relief. Quant au dynamisme, il naît des qualités propres à la technique picturale: elle ajoute à l’envi des contrastes et des valeurs tranchées. Elle n'empêche pas non plus de varier les plans et de jouer sur la ligne d'horizon. Le seul reproche concerne les descriptifs et les dialogues: ils sont tellement petits que la lecture est souvent difficile…

Une chanson de geste qui emballe c?urs, sens et action. Il reste aux auteurs à confirmer…

Marc Bauloye

Le Banni T1 Le poids de nos victoires Tarumbana Henscher Le Lombard

 

31/01/2010

Le destin poignant d'une femme africaine

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1974. Kinshasa. La jeune Tshilanda, fille du chef de la sécurité d'un grand hôtel international de la capitale zaïroise, vient d'avoir seize ans. La petite fille s'est métamorphosée en une séduisante jeune femme qui attire tous les regards masculins. L'un de ces hommes, Alan, le très magnétique manager du groupe de James Brown, alors de passage au Zaïre, ne va faire qu'une bouchée de la naïve Tshilanda. Mais, elle vit très mal cette étreinte sauvage. Dépitée, elle se confie à Mike, un musicien noir américain de Harlem, ancien G.I. revenu du Viêt Nam. Elle tisse aussi des liens très forts avec Edouard, un diplomate français et lui raconte tout. Comme Tshilanda est enceinte, il faut lui faire quitter le pays pour éviter le scandale. Mike et Edouard vont l'aider dans cette entreprise. Grâce à l'alliance improbable de ces deux hommes, Tshilanda obtient une green card lui permettant de partir pour les Etats-Unis où elle accouche d'une petite fille, qu'elle baptise du nom de Liberty. Un prénom qui a une valeur de symbole... Elle se retrouve à New York avec Mike qui appartient maintenant au parti des Black Panthers. Lequel réprouve que le musicien se drogue. Pour ne pas être expropriée, Tshilanda fait appel à Edouard. Elle ouvre alors un salon de coiffure qui va jouir d'un grand succès. Puis, par une sombre journée, elle est tuée par un junkie... Comment Liberty va-t-elle surmonter son chagrin ?

Un univers graphique époustouflant

Révélés dans les années 80 par le mensuel A Suivre, Warn's (EricWarnauts) et Raives (Guy Servais) ont la même formation d'arts graphiques. Ils travaillent ensemble depuis 1985, selon un mode de fonctionnement inédit dans la BD: Warn's écrit le scénario, ils dessinent à quatre mains et Raives réalise la mise en couleurs. Leurs talents conjugués donne naissance à un univers graphique et narratif époustouflant qui traduit parfaitement les émotions des personnages. Warn's et Raives vivent tous deux en Belgique, mais connaissent bien l'Afrique. Comme leurs précédents albums l’attestent (Equatoriales, Congo 40, Lettres d'outremer, Kin' la belle et la série l'Orfèvre), ils nourrissent une passion pour le Congo devenu Zaïre. Pour cet opus, la personnalité et la psychologie de chaque personnage a été soigneusement étudiée et fouillée. Il n’y a pas de vrai héros mais des gens simples qui parlent en voix off chacun à leur tour. Les auteurs usent d'une technique subtile pour évoquer le passé: des images grises comme de vieilles photos usées par le temps.

Notre destin est commun...

L'histoire se passe sur plusieurs décennies: du combat de Mohamed Ali contre George Foreman à l'élection de Barack Obama qui clôture son discours d'investiture par une phrase forte: nos histoires sont singulières, mais notre destin est commun. La chronique sociale se mélange avec le contexte politique: le combat des noirs américains et la lutte des femmes pour trouver leur juste place. On sent que l'intrigue est riche d'expériences vécues, sans clichés faciles. Les auteurs font le portrait touchant de deux femmes meurtries par la vie avec un parcours qui se répète: une mère célibataire donne la vie à une jeune fille qui deviendra à son tour une autre mère célibataire. Les deux femmes trouvent leur place dans la réalité: en assimilant deux mondes, deux cultures qui se préoccupent un peu trop de la couleur de la peau. Graphiquement, Warn's et Raives nous offrent des planches superbes magnifiées par des couleurs chatoyantes.

Un roman graphique bouleversant qu'on lit d'une traite avec passion...

Marc Bauloye

Liberty Warnauts Raives Casterman

 

 

 

 

 

Au-dessus des lois

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France. De nos jours. Certains meurtres resteront à jamais impunis, étouffés au nom de la raison d’Etat. Sisco Castiglioni fait partie de ces hommes de l’ombre qui huilent les rouages de la politique à coups de 9 mm. Il est un des meilleurs dans sa spécialité et ne déplaît guère à la secrétaire de son patron qui se plaint de son manque de romantisme. Son dernier ordre en date: réduire au silence un conseiller du Président de la République qui s’apprête à témoigner dans une affaire embarrassante. Mais, un témoin inopiné, Maretti, un laveur de vitres, surprend l’exécution maquillée en suicide et enregistre la scène sur son GSM. Immédiatement poursuivi, il prend contact avec une journaliste du Figaro, l’ambitieuse Léa Dalmont, pour assurer sa protection en lui confiant la preuve du crime. Ces deux témoins viennent compliquer une situation déjà passablement épineuse. Bien vite, Sisco est mis à pied pour incompétence, mais il décide de poursuivre sa mission en solo. Les témoins de cette affaire vont vite découvrir ce qu’il en coûte de s’attaquer au Président…et à Sisco.

Un antihéros cynique et désabusé

Le scénariste Benec n’est pas de ceux qui se perdent en longues phases d’exposition. Dès les premières planches, on se retrouve donc plongé au coeur de l’action. En outre, de par son trait réaliste et ses décors quasi photographiques, le dessinateur Thomas Legrain (Mortelle Riviera, L'Agence) parvient à nous faire vivre des moments palpitants et à nous faire entrer efficacement dans le récit. Mais, Sisco n’est pas vraiment le style de héros qu’on a l’habitude de voir: cynique, blasé et indifférent à la souffrance d’autrui, il incarne une image cruellement vraie de la politique et des agents secrets. Après Le Tueur de Matz et Jacamon, La Mangouste et Irina, les exécuteurs pleuvent tout à coup dans la BD et font très mode. Mais, contrairement à cette nouvelle race d’antihéros bourrés d’empathie, Sisco, dont on ne connaît pas le passé, ne parvient pas à devenir vraiment attachant. Pire, il est vraiment très antipathique. Ce qui contribue à la véracité de l’histoire…

Inspiré d’un fait réel

Le scénariste Benec, lauréat du Prix Raymond Leblanc en 2007, a basé son intrigue sur un fait réel: il s’est inspiré de la mort mystérieuse en avril 1994 de François de Grossouvre, un conseiller de François Mitterrand qui s’était apparemment suicidé. Cette histoire relatée par Jean Montaldo dans l’ouvrage Mitterrand et les 40 voleurs a fait beaucoup de bruit à l’époque. Montaldo ne croyait pas à la thèse du suicide. Sans accuser ouvertement, il estimait qu’il y avait eu meurtre ou incitation au suicide. A partir de là, Benec (qui exerce parallèlement le métier d’ingénieur en informatique décisionnelle) a fait parler son imagination en rajoutant un témoin dans son intrigue. Il a aussi créé de toutes pièces le service au sein duquel opère Sisco. Il semble justifier les choix (pourtant injustifiables) de l’acteur principal qui a compris les enjeux du pouvoir et le concept de la loi du plus fort ! On reconnaît là un argumentaire très primaire qui laisse rêveur… Séduit par les personnages et les dialogues, Legrain (ancien étudiant en Histoire et Criminologie) s’est appliqué, avec succès, à rendre ses personnages moins figés. Programmé pour mars 2010, la fin de ce diptyque (dans le second épisode Faites-la taire !) promet d’être haletante tant l’action est soutenue de bout en bout.

Destiné à un public averti, ce thriller politique atypique et passionnant se lit d’un trait comme un ouvrage de Ken Follett…

Marc Bauloye

Sisco T1 Ne tirez que sur ordre ! Legrain Benec Le Lombard