25/01/2010
Nos larmes en sont les barreaux
Italie. 1987. Deux journalistes ont choisi de faire un reportage sur le confinement des homosexuels dans leur pays en 1938 à l'époque du fascisme. Ils comptent faire parler une victime de l'époque, Antonio Angelicola dit Ninella qui a plus de 70 ans. Dans les années 30, ce dernier était tailleur le jour et dragueur la nuit. Un soir, il s'est fait prendre par la police. Sans jugement, on lui a infligé une lourde et injuste peine pour un délit d'homosexualité qui n'existait pas dans la loi ! Il fût déporté sur une île où il rejoignit d'autres jeunes pareils à lui. Malgré l'éloignement et la captivité, Ninella va y passer des moments heureux car les gardiens acceptent mieux ce que le gouvernement considère comme une déviance. Certains vivront plus mal ce séjour forcé et diront amèrement: Cette île est notre prison et nos larmes en sont les barreaux...
Scénariste et dramaturge, Luca de Santis a basé son récit sur une histoire véridique. Une interview clôture d'ailleurs ce roman graphique de 176 pages. Dans celle-ci, un vieil homme témoigne: Il y avait des homos qui pleuraient, le jour où ils ont dû quitter l'île au début de la guerre car ils y étaient mieux traités que chez eux. Dans cet album d'une rare intensité, servi par le trait élégant d'une grande lisibilité de Sara Colaone, de Santis raconte le destin de l'homosexuel Ninella devenu un vieil homme. Avec difficulté, mais aussi avec courage, Ninella accepte de se confier et de revivre son passé douloureux. Mené à travers une succession de flash-back, le récit navigue entre gravité et humour, entre Histoire et finesse psychologique, tout en menant une réflexion sur la condition homosexuelle et le travail de journaliste.
En Italie, il n'y a que des vrais hommes. Ainsi parlait Mussolini quand on lui conseillait de promulger des lois d'exception à l'encontre des homosexuels de son pays. Tout à son fantasme du vrai mâle italien viril, le Duce se refusait à voter une législation comparable à celle de son allié nazi. En effet, pour les nazis, l'homosexualité était un crime puni de mort et dix mille homosexuels l'ont payé de leur vie dans les camps, après avoir subi les pires sévices. L'Italie, elle, a utilisé contre les gays une arme plus sournoise que la répression brutale: le silence. Souffrance, incompréhension qualifiait leur état psychologique alors qu'il réclamaient seulement le droit légitime d'être différent.
Les premières mesures d'ostracisme à l'encontre des homosexuels italiens furent mises en application dès 1928 et se firent plus nombreuses à la fin des années 30. Plusieurs centaines d'homosexuels furent alors déportés et confiné dans de petites îles de San Domino dans l'archipel de Tremiti, à l'écart des prisonniers politiques du régime. Lorsque la guerre éclata, ils furent relâchés et renvoyés chez eux, où ils durent affronter le déshonneur et l'homophobie des populations locales. Personne n'entendit plus parler d'eux, et la jeune République ne daigna jamais se préoccuper de leur sort, ni leur octroyer un quelconque dédommagement. Pendant plusieurs années, nul n'évoqua ce sujet douloureux et honteux de l'Italie contemporaine. Il fallut attendre la deuxième moitié des années 1980 pour voir apparaître les premiers travaux d'historiens et la publication de quelques rares ouvrages, alors que la plupart des protagonistes étaient décédés...
Un roman BD bouleversant, au graphisme raffiné, qui atteint son but: que le traitement indigne infligé au gays en Italie dans les années 30 ne tombe pas dans l'oubli...
Marc Bauloye
En Italie, il n'y a que des vrais hommes Colaone de Santis Dargaud
13:24 Publié dans Loisirs et Culture | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cases, phylactères
Commentaires
Merci pour bonne information!
Écrit par : essays | 01/11/2010
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