07/02/2010

Le malaise de Jeremiah

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Etats-Unis après la guerre nucléaire. Le chaos est partout où Jeremiah et son pote Kurdy posent leurs motos. Si Jeremiah a conservé quelques valeurs morales, ce n'est pas le cas de son compagnon, mercenaire à ses heures. Des lustres plus tôt, Jeremiah a rencontré Léna (Les Eaux de colère) et a quitté Kurdy pour elle. Mais, il est revenu sans rien expliquer. Aujourd'hui, Jeremiah rend visite à Léna qui vit avec Jake, son amant, et Stevie, son fils, dans une petite ville minière. Très vite, dans un bar, Jeremiah prend le parti d'un mineur contre un contremaître qui meurt dans la bagarre. Il va alors avoir sur le dos Ricky, le fils taré du propriétaire de la mine. Par ailleurs, il est évident qu'il est le père de Stevie et que Léna l'aime encore. Quand il apprend que Stevie a été enlevé dans le but de le piéger, il pète les plombs et se met à boire. Qui va veiller au grain ? Kurdy, pardi... Mais, comment va-t-il sortir son ami de ce sacré sac d'embrouilles ?

Un épisode clé

Une fois de plus, le lecteur se demande pourquoi Jeremiah partage le quotidien de Kurdy. Sans doute, parce qu'il combat comme lui l'injustice. Cet opus est un épisode clé de la série car Hermann montre le malaise profond de Jeremiah conscient de passer à côté de tout. Notamment d'une vie normale et familiale avec la femme et l'enfant qu'il aime. La dérive du héros, c'est donc le coeur de l'album dont la conclusion nous laisse sur notre faim. Si Jeremiah a des relations difficiles avec Kurdy, il peut se féliciter de l'avoir dans son camp. L'ironie de l'intrigue veut que ce soit Jeremiah lui-même qui enclenche un engrenage qui va le broyer. Ici, Hermann dénonce les abus de pouvoir comme il a stigmatisé dans d'autres épisodes les sectes, la dictature et le racisme. L'auteur est cynique: le monde où vit son héros ne change pas après son passage. Enfin, aucun temps mort dans une intrigue solide et musclée. Hermann sait où il veut nous emmener pour nous secouer avec rudesse. Et, il y réussit parfaitement. Le style graphique très réaliste colle parfaitement avec l'intrigue et la description d'un monde futuriste ravagé par une guerre atomique. Les décors crus et dépouillés en couleur directe sont grandioses.

Du Hermann en grande forme qui fait douter son héros pour remettre en cause sa vie d'errance. On en redemande !

Marc Bauloye

Jeremiah T29 Le petit chat est mort Hermann Dupuis

 

Dernier acte de la guerre des Pierres

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3412. Cosmos. Valérian et Laureline effectuent leurs derniers voyages dans l'espace et dans le temps. Il y a des lustres, ils n'ont pû empêcher la disparition de leur terre et de sa capitale Galaxity, victime en 1986 d'une explosion nucléaire. Ils parviennent à annuler les effets de la déflagration mais perdent leur planète. Pour la retrouver, ils doivent affronter les Wolochs, des Pierres noires intelligentes et redoutables. Pour cette ultime bataille, tous les amis des deux agents terriens se mobilisent: les enfants de Filène, Elmir, Jal, Ralph le Glapum'tien, Monsieur Albert... Valérian harangue ses troupes qui disposent d'une arme formidable: l'OuvreTemps, une clé de l'univers. Qui des Pierres ou des humanoïdes va remporter cette terrible bataille ? Valérian et Laureline vont-ils retrouver leur planète ? Fin d'un cycle et d'une série à la hauteur des ambitions des auteurs...

Une somptueuse chorégraphie finale

Le scénariste Pierre Christin et le dessinateur Jean-Claude Mézières souhaitaient clôturer leur saga sains de corps et d'esprit. Christin résoud dans L'OuvreTemps le fameux paradoxe temporel créé au début de la série. Ne croyant pas au succès de Valérian, il avait anéanti la terre et forcé ses personnages à errer dans l'espace pour la retrouver. Très vite, Laureline est devenue l'héroïne de la saga aux côtés de Valérian. Créée en 1967, cette série a apporté bien des innovations dans la BD de science-fiction. Christin ne s'est pas contenté de faire l'apologie du féminisme: il a abordé les problèmes politico-sociaux les plus importants de notre époque. Dans cet ultime épisode, sous forme de space opera, il fait revenir tous les personnages de la série pour une somptueuse chorégraphie finale et pour un dénouement fulgurant. Jean-Claude Mezières a réalisé pour cette saga des prouesses graphiques avec une inventivité prodigieuse. En outre, dans cet opus, il nous offre de splendides planches en couleurs directes. Tout y passe: visions hallucinées, action trépidante, silhouettes et trognes impayables. Il signe des images d'une beauté stupéfiante. Par ailleurs, Christin laisse une porte ouverte: il n'est pas hostile à des réinterprétations par d’autres de l’univers de Valérian. Dèjà, il continue la saga sous forme de romans (Lininil a disparu). A coup sûr, on est tenté de lire ou de relire la série !

Fin fascinante d'un chef d'oeuvre du 9ème Art qui a marqué des générations de lecteurs et qui séduira même les réfractaires à la science-fiction...

Marc Bauloye

L'OuvreTemps T21 Valérian et Laureline Mézières Christin Dargaud

 

Le retour du Banni

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Ils étaient cinq amis réunis sous le commandement d'Alester Le Vaillant qui transforma la Compagnie des Loups en une armée, la Meute. Sous sa bannière, cette armada mit un terme aux baronnies tyranniques. Pour un ordre plus juste et une paix éternelle, la Meute a fondé le Royaume d'Archaon. Une telle prouesse n'eut pas été possible sans Hector La Muraille Wiestal , guerrier ne vivant que par et pour l'épée, accompagné d’Ysengord, d'Aberrard et de Khaïss. Ensemble, ils pénétrèrent au coeur de Kordock, sanctuaire de l'Ephyse. Un pouvoir ancestral leur donna la force de prendre Myrmirrine, joyau des Territoires du Centre et fief du duc Amaltek qui préféra le suicide à la reddition. Mais, Hector croisa le regard de Lady Jester, la future reine promise à Alester et y succomba. Banni du royaume, Hector devint alors une légende déchue noyant ses souvenirs de gloire dans l'alcool. Trente ans plus tard, les faits d'armes de la Meute n'existent plus que dans les chansons. Maudissant ce Roi qui n'a même pas eu le courage de lui offrir une mort cent fois méritée, Hector vit entouré de fantômes. Seule la jeune Myrille, trouve grâce à ses yeux. Et, puis, Alester le convoque pour lui faire retrouver sa gloire perdue. Hector ignore encore le terrible piège qu'un ennemi mystérieux lui a tendu pour le broyer...

Si les récits d'héroïc-fantasy sont légion en BD, plus rares sont les histoires fantastiques qui se situent dans un Moyen-Age imaginaire dénué de créatures magiques. La très belle mise en image du dessinateur Tarumbana plonge le lecteur dans le monde tourmenté imaginé par le scénariste. Le liseur est immédiatement happé par la fureur des combats, par les drames et les complots qui se nouent à l'ombre du trône. La véritable force de l’album réside dans les trajectoires individuelles des personnages. Malgré tous leurs efforts, ces héros sont seuls face à un destin auquel ils ne peuvent se soustraire. Le Banni, c'est l'épopée d'un groupe d'amis unis par le sang qu'ils ont fait couler, forgeant par l'épée une légende qui a fait d'eux les rois d'un monde. Seul le temps, brisant les amitiés les plus indéfectibles, a transformé les héros d'autrefois en vieillards égoïstes et affaiblis qui se disputent aujourd'hui les derniers vestiges de ce qui fit autrefois leur mythe.

A l'évidence, Henscher s'inspire ici d'Impitoyable de Clint Eastwood où le héros déchu ne parvient plus à toucher sa cible. Il avoue lui même avoir cherché une ambiance à la Sam Peckinpah ou à la Sergio Leone. Mais, c'est Le Trône de Fer de Georges R.R. Martin qui a été sa principale source d'inspiration. Elle lui a permis de prolonger une réflexion sur la notion d'héroïsme, de sacrifice absolu, de don de soi au nom d'une cause supérieure avec la gloire qu'on en retire. Dans le Banni, on trouve aussi une introspection sur la violence et la légitimité de celui qui l'emploie. Par ailleurs, le scénariste a voulu souligner que le médiéval-fantastique doit être considéré comme un genre littéraire propre au même titre que le polar. Ce genre permet de traiter les questions politiques, voire métaphysiques. Ainsi, pour la relation entre Hector et Alester, Henscher a pensé à Roland et Charlemagne. Émotions des personnages, démesure, fabrication d'un mythe, violence nourrissent à profusion le début de cette saga prometteuse dans laquelle il n’y a aucun temps mort. Tarumbana prend plaisir à dessiner la gueule d’Hector. Avec son style peinture, il dépeint à merveille la cruauté et la sauvagerie des combats. Il propose aussi des jeux de lumières étonnants et des ambiances en clair-obscur. Inspiré par Rosinski, son pinceau donne de la profondeur et du relief. Quant au dynamisme, il naît des qualités propres à la technique picturale: elle ajoute à l’envi des contrastes et des valeurs tranchées. Elle n'empêche pas non plus de varier les plans et de jouer sur la ligne d'horizon. Le seul reproche concerne les descriptifs et les dialogues: ils sont tellement petits que la lecture est souvent difficile…

Une chanson de geste qui emballe c?urs, sens et action. Il reste aux auteurs à confirmer…

Marc Bauloye

Le Banni T1 Le poids de nos victoires Tarumbana Henscher Le Lombard